TEMOIGNAGE

TEMOIGNAGE

Daniele BIMA

Je suis arrivée à Bab-el-Oued à l’âge de 3 mois. Mon père, qui travaillait au C F A, les Chemins de Fer Algériens, était dans le département d’Oran, lorsque je suis née et a donc été « nommé » à Alger, début 1945.

Toute mon enfance, une partie de ma jeunesse, se sont passées à B.E.O.

Après ma scolarité, à la sortie de la 3ème, je suis rentrée aux Chèques Postaux pour les vacances… et j’y suis restée un peu plus d’un an.

Les Chèques Postaux étaient situés Place du Gouvernement, un peu plus bas que la Casbah.

Ma jeunesse a laissé des souvenirs inoubliables, que jamais une jeune fille (18 ans en 1962) n’aurait dû vivre.

Les explosions, les morts dans la rue, les fouilles pour rentrer dans les magasins, les cinémas et même dans les transports publics, sans oublier les rencontres avec les militaires…. à qui l’on offrait à boire dans les escaliers de l’immeuble.

Plusieurs de mes copines ont été blessées lors de bals je me souviens de l’attentat du Casino de la Corniche (bombe sous l’orchestre) qui a fait huit morts dont la mort du chef d’orchestre Lucky Starway et quatre vingt blessés….

Pour ma part, pas de bal, mon père… ne voulait pas me laisser sortir !

Ma vie à Bab-el-Oued :

Donc, à l’école des Sœurs, rue Montesquieu, Communion à l’église St Joseph avec l’abbé Castéra, visite à Notre Dame d’Afrique avec Sœur Gabrielle, qui m’a suivie de la « pouponnière » au CM2, pendant l’école, mais aussi au « plein-air », la propriété que les Sœurs de St Vincent de Paul avaient à Notre Dame d’Afrique, et que je fréquentais tous les jours pendant les grandes vacances d’été. Puis l’école rue Franklin, et le lycée Lazerges.

Jusqu’à ces jours terribles de Mars 1962 et le fameux « bouclage » de Bab el Oued, l’horreur !!! Perquisitions dévastatrices, survol des maisons par des avions, des T6  je crois qui tiraient sur les immeubles ; avec les tirs de pistolet-mitrailleur et de fusils mitrailleurs par les gardes mobiles ! Possibilité seulement pour les femmes et les enfants surtout de faire les courses pendant une heure ou guère plus – et bouquet final, des « half-track »  qui sillonnent les rues écrasant les voitures en stationnement.

Et, en bas de mon immeuble, sous la fenêtre de ma chambre, une voiture qui manœuvre  et que le chauffeur abandonne. Pas grave ! Le half-track s’arrête et commence à tirer sur l’immeuble d’à côté. J’ai tellement peur que je traverse l’appartement, le hall de l’immeuble et vais me réfugier sous le lit de notre voisine…. traumatisée à vie.

Pendant tout le « bouclage », des jours, des évènements pénibles, inoubliables, jusqu’à ce 26 Mars où l’on apprend qu’une marche est organisée pour venir demander de cesser ce blocus et …. Nous apprenons ce qui s’est passé Rue D’Isly. Ces 80 morts… et pour quelles raisons je ne peux oublier le 26 mars, car je réalise qu’ils sont morts pour nous, pour nous aider et qu’il m’est IMPOSSIBLE d’oublier leur sacrifice.

Maintenant, pour la petite histoire, j’ai pu retrouver en 2003, par un concours de circonstances incroyables, Sœur Gabrielle, lors d’une cérémonie à  Notre Dame d’Afrique érigée à Théoule-sur-Mer. Installée dans le Tarn. Nous avons, pendant 15 ans, échangé courrier, coups de téléphone, visites…

Etant retournée à Alger, avec mon mari, en 2018, j’ai tenté de retrouver des fragments de ma vie, celle de ma famille j’avais préparé un album photos (345 photos) plus 7 cassettes de films vidéo, et alors que j’avais prévu d’aller les lui montrer, j’ai appris son décès, en septembre 2018, à l’âge de 93 ans. Je ne réalise toujours pas son départ.

J’ai du mal à revivre ma vie d’alors qui m’a été arrachée que j’ai du fuir pour rester en vie.

 

Dans le midi de la France

Le 16 Janvier 2021

Danièle BIMA

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