La vie à Bab El Oued pendant le BLOCUS du Mois de Mars 1962 à Alger

La vie à Bab El Oued pendant le BLOCUS du Mois de Mars 1962 à Alger

 

A la demande de notre cher ami Roland ALBERT Président de l’Association « Souvenir du 26 Mars 1962 », je vais essayer de faire un exercice de mémoire : mars 1962 triste mois qui entraina notre désarroi, notre chagrin, notre rancœur, et notre départ

Nous étions déjà depuis plusieurs jours dans le collimateur et le moindre incident devenait un drame pour nous, des couvre- feu de 24 heures, des fouilles, des arrestations, des menaces étaient notre quotidien depuis plusieurs mois…. Alors nous résistions.

Le Matin du 23 Mars il faisait très beau une belle journée de printemps se dessinait. Ce jour- là je ne suis pas partie en ville (expression : se rendre dans le centre d’Alger) au siège le « l’Union féminine Civique et Social : Boulevard Baudin, dont la Présidente était Mademoiselle Pasquier Bronde, je devais me rendre dans une cité sur les hauteurs de Bab El Oued où nous avions un centre médico- social pour les familles.

Notre premier geste dans cette période était de prendre la température, l’atmosphère du quartier, un bruit circulait dans l’avenue de la Bouzareah prolongée qu’un évènement des échauffourées avec des militaires se passaient sur le chemin que je devais prendre et j’ai attendu d’en savoir un peu plus.

Bien vite le couvre-feu a été établi mais une chappe de plomb des jours de graves événements étaient palpables et bien vite le soleil n’avait plus la même chaleur. Vite le marché s’est terminé, les rues se sont vidées et du balcon on surveillait les allées et venues des militaires et gardes mobile Tout s’est durci rapidement et nous avons fermé les persiennes des pièces qui donnaient sur la rue, on entendait dans le lointain des tirs (les puristes donneraient le nom des armes pas moi).

Dans l’immeuble nous nous sommes retrouvés dans les escaliers pour nous éloigner des rues et des pièces dangereuses. Les avions ont commencé à nous survoler, surveillance, attaque on ne pouvait imaginer le pire, pourquoi nous les enfants les jeunes les femmes les travailleurs, certes nous étions pour la lutte et continuer à vivre là « CHEZ NOUS SUR NOTRE TERRE FRANCAISE ». Papa n’était pas avec nous car à la fermeture de l’Echo d’Alger il avait retrouvé du travail à l’Echo de Constantine et il ne revenait qu’une fois par mois. Dans la rue nous avons entendu plusieurs rafales. Tout le monde parlait pour chasser leur peur, un silence et des murmures dans la rue un militaire était blessé et des voisins le transportait vers un cabinet médical et tout de suite des cris : « LES TANKS ARRIVENT » nous rentrons tous dans nos immeubles mais là je peux témoigner ils étaient là devant moi et j’ai eu la peur de ma vie. Dans l’immeuble plus personne ne parlait, on voyait les lèvres des vieilles personnes bougeaient elles priaient en silence assise dans le couloir d’un appartement comme elles le faisaient pendant les bombardements de la guerre de 1939-1945.

Il n’y avait qu’un locataire qui avait un téléphone et j’ai pu appeler mon frère qui lui, le matin était parti travailler, pour le supplier de ne pas revenir et d’aller dormir chez une tante au centre d’Alger, effectivement il y avait au plafond un impact de balle mais qui avait tiré des militaires, des gardes- mobile sur les façades d’immeubles d’innocents. Chacun s’est organisé pour la nuit en évitant de dormir dans certaines pièces.

Le lendemain rien n’avait bougé, l’atmosphère   pesait, un calme relatif régnait et l’on s’interpellait d’un balcon à un autre. Notre poste de radio était branché toute la journée sur Radio Luxembourg qui relatait les faits, le quartier était toujours bouclé. Le téléphone arabe marchait bien. Des groupes d’immeubles étaient perquisitionnés ; saccages, destructions et les hommes jeunes, vieux, étaient tous emmenés au stade Marcel Cerdan sans plus de détail, peur, panique de tous les voisins …Nous pensions tous à un certain stade pendant la guerre de 40. J’avais mis dans la veste de mon frère des conserves pour tenir au cas où, mais l’histoire ne dit pas avais-je mis un ouvre boite ?

Maman faisait une dépression, elle passait ses nuits sur le balcon à surveiller les allées et venues et les bombes éclataient par dizaines souvent elle tremblait de peur pour nous.

En début de nuit nous avons eu la visite des gardes mobile, quelques réflexions sur nos réserves de nourriture, mais heureusement ils ont été appelés pour un incident dans un autre endroit du quartier, ils sont partis rapidement et bonheur nous ne les avons jamais plus revus. Pas de rafles pour les hommes mais interdiction de se mettre au balcon.  Puis, nous avons appris par Radio Luxembourg qu’une marche se préparait pour nous libérer.

Le couvre-feu était levé une heure je crois tous les jours, mais le boulanger n’avait plus de farine, nous avions fait des brassards avec une croix rouge pour être au service des personnes qui avaient un problème ; lait pour les enfants, médicaments… Des personnes nettoyaient les rues à l’eau de javel et au grésil pour éviter que les rats arrivent dans les rues.

Le 26 Mars nous avons passé un triste début de journée toujours branché sur la radio pour avoir des nouvelles de la manifestation, le silence régnait dans les appartements.

Dès les premiers coups de feu à la Grande Poste, j’en ai encore la chair de poule, on ne pouvait pas y croire DES MILITAIRES FRANÇAIS QUI TIRE ET TUENT DES DIZAINES DE FRANCAIS 

Le « HALTE AU FEU MON LIEUTENANT » nous transperçait, on pleurait en silence pour tout entendre, le journaliste était effrayé, je suis sûre que lui aussi pleurait, il relatait tout ce qu’il voyait de cette extermination pourquoi tant de haine et d’acharnement. La censure a pris le pas sur les commentaires et très rapidement les communiqués étaient édulcorés, on ne parlait plus de militaires mais on parlait de l’OAS et d’incidents.

L’état français voulais en finir avec Bab El Oued, ce quartier qui leur tenait tête mais c’est d’autres malheureux qui ont payé de leur vie.

Le blocus a été levé nous étions abasourdis malheureux nous nous sentions responsables redevable malgré nos larmes.

Encore maintenant je pense à eux avec émotion et chaque 26 Mars est et sera toujours un jour de DEUIL ? ILS SONT MORTS POUR QUE JE VIVE car dans l’esprit du gouvernement c’est nous peuple de Bab El Oued qu’il devait tuer et peu importe le nombre de personnes nous ne devions plus vivre. La vie n’a plus été la même ils nous avaient matés au cœur, à l’âme et la colère s’est transformée en désespoir même si elle remontait et en quelques mois les évènements ont été de plus en plus dramatiques plus douloureux tout le monde avait peur de tout le monde
Je ne parle que de mon ressenti et ce que j’ai vécu.

Seigneur que tout cela n’arrive plus nous vous le demandons et nous prions pour eux, notre famille…

 

Marie-Luce SOGORB née MIGNON

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