Témoignage de Monsieur Gilbert SANS Sur la Tuerie du 26 Mars 1962 Rue d’Isly à ALGER :

Témoignage de Monsieur Gilbert SANS Sur la Tuerie du 26 Mars 1962 Rue d’Isly à ALGER

« J’avais 30 ans ! Bab-el-Oued, quartier populaire d’Alger, est bouclé depuis quelques jours par des gardes mobiles et leurs mitrailleuses. C’est un siège avec interdiction d’être ravitaillé ou de paraître au balcon. Perquisitions et rafles sévissent : tous les hommes de 70 à 16 ans sont transportés au Centre de « tri et détention » à Béni-Méssous.

Le reste des Algérois ne pouvait pas rester indifférent. La foule non armée et médailles pour les anciens combattants pour les anciens, se presse devant la Grande Poste et la Rue d’Isly. Nous allons marcher vers Bab-el-Oued, drapeaux déployés en passant par les boulevards qui longent la basse Casbah, pour que les journalistes témoignent et que la France sache.

Un hélicoptère nous survole très bas, ses pâles font le bruit de tirs de rafales.

Un jeune lieutenant débordé demande à ceux près de lui de se disperser !

Sa section n’est composée que de tirailleurs fraichement ralliés qui n’avaient jamais vu autant d’Européens rassemblés. Ils ont peur. Ils vont se soulager : soudain, SANS SOMMATION, les tirs de mitraillettes fauchent et couchent au sol cette foule affolée. Six longues minutes de tirs nourris, certains réarment : malheur à ceux qui lèvent la tête.    

Notre petit groupe est au début de la rue d’Isly. Venu d’Hussein Dey, il comprend Monsieur TORRES, son fils, ses filles Danièle et Michèle (20 ans) et mes deux jeunes belle-sœur leurs amies d’enfance.

Nous nous replions vers un immeuble, mais Michèle reste au sol, foudroyée par une balle dans le dos : Elle s’était relevée trop tôt. Nous transportant son corps dans un appartement qui nous est ouvert. Je laisse ceux qui la pleurent et retourne dans la rue.

Des camions militaires venus de partout ramassent les corps, prennent les blessés dans des civières. Le personnel médical de la clinique Lavherne, toute proche est à l’œuvre.

Nous faisons des garrots avec des bas, des soutiens gorges et des cravates.

Ma carte de police me permet de d’arrêter un petit fourgon noir. Le chauffeur accepte de nous amener à H. Dey.

Tous, nous installons Michèle à sa maman et ses grands-parents.

Arrive un motard Commissariat Central, il nous remet un ordre écrit qui stipule que seuls deux hommes pourront accompagner le Corps au cimetière.

Devant nos protestations il nous montre son ceinturon : « Voyez, ils nous ont désarmés ».

Radio Alger demande du sang d’urgence, car le bilan est lourd : 110 morts et deux fois plus de blessés.  Nous rejoignons l’hôpital de Mustapha : Les corps sont pèles mêles dans les locaux surchargés de la morgue. Des personnes en pleurs recherchent leurs morts. C’est un désordre poignant. Nous donnons notre sang puis revenons vers Michèle pour une veillée funèbre.

Sa maman qui perdra bientôt la raison a voulu habiller sa fille de sa robe blanche prévue pour ses fiançailles quelques jours plus tard. Michèle sera enterrée le lendemain sans sa famille, sans ses amis. Seule une plaque « Morte pour la France » témoignera.

Les gerbes de fleurs contre la façade de la B. N. C. I. face à l’horloge de la Grande Poste seront enlevées chaque nuit pendant le couvre feu imposé manu militari.

Paris-Match illustré des premières photos-témoins est interdit de paraître en Algérie.

Ma femme à Marseille depuis le 14 mars avec nos deux jeunes enfants et sont grand-père, sans nouvelles me découvrira donnant des soins à un monsieur blessé au ventre.

Tout a été fait pour nous casser le moral. La population n’y croit plus, les files vont s’allonger dans les ports et les aérodromes.

Comment aurait réagi les citoyens de n’importe quelle ville de France, si un tel drame était survenu : l’armée tuant sans sommation 110 personnes et en blessant plus de 200.

Tout fut donc habilement caché à la métropole. Opération réussie : La preuve, le choix des mots : les archives officielles évoquent maintenant 60 morts lors d’une « fusillade » rue d’Isly, des tirs étant partis depuis des balcons subversifs……

Pour qu’il y ait eu fusillade, il fallait des tirs de part et d’autre. Alors combien de pertes du côté du « maintien de l’ordre » ? Nous avons été les victimes de la raison d’état. Et a ce niveau, l’individu ne compte plus.

 SAINT AUPRE le 1er Juin 2016

 

 

 

Colette SANS Décrit la photo ci-dessous :

« Michèle TORRES évacuée par deux de ses Amis et Gilbert SANS.

Au deuxième plan se trouve sa jeune belle sœur.

En arrière plan Monsieur TORRES et son fils hurlant de douleur !

N.B. : Tous les hommes sont en cravate, c’était un rassemblement digne pour désenclaver Bab-el-Oued.

J’ai rencontré Gilbert et Colette SANS lors d’une AG de la FNR de Grenoble à l’invitation de son président Jean Marc CANIE, à la suite d’une magistrale conférence de notre Amie Simone GAUTIER, Toujours sous le coup de l’émotion Gilbert et son épouse avaient des larmes et une immense tristesse à l’évocation de ce drame. 

Grigny le 20 Mars 2021
Roland ALBERT Président de l’association « Souvenir du 26 Mars 1962 »
51, Résidence les Cazardes – 69520 GRIGNY – 06 88 94 50 39
albert.r@wanadoo.fr

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