26 Mars 1962 à Alger un jour ! Comment oublier cette tragédie?

26 Mars 1962 à Alger un jour ! Comment oublier cette tragédie?

Témoignage de Gilbert Navarro

Ce Lundi 26 Mars 1962 vers 13 heures à Alger, j’ai 19 ans, de mon quartier les HBM du Champ de Manœuvre, déterminé à porter aide et assistance à nos proches et amis confinés par la force dans Bab El Oued, assiégés dans d’horribles circonstances depuis plus d’une semaine, j’ai rejoins la foule de mes compatriotes : des hommes, des femmes de tous âges et des enfants, certains dans des poussettes.

Nombreux sont les barrages militaires, avec barbelés, en chicanes gardés par des hommes en armes sous la tenue de l’armée française.

Ces militaires sont agités, nerveux, inquiets !

 

La foule avance avec des drapeaux Bleu, blanc, rouge en chantant la Marseillaise notre Hymne National, Nous voulions garder l’Algérie Française.

 

Ma mémoire me redonne les images de cette Grande Poste. Nous nous dirigions vers ce bâtiment où nous étions bloqués par une quinzaine de Tirailleurs musulmans, casqués et armés d’armes lourdes, commandés par un lieutenant hagard, dépassé,  qui «  criait de faites demi tour, partez, n’avancez pas ! Mes hommes ont reçu l’ordre de tirer ! »

Subitement c’est le déchainement des rafales des fusils mitrailleurs et autres armes automatiques, de toutes parts crépitent les armes de ces soldats, dans la direction de la foule des immeubles et de terrasses et les cris d’un officier hurlant comme un fou « Halte au feu, halte au feu !

Nom de Dieu, nom de Dieu, personne n’entend ou ne veut obéir aux ordres.

Dans la folie et les hurlements, j’ai vu une maman et son bébé sauvagement assassinés. Les balles crépitaient encore ; le sang versé à terre.

D’autres gisaient à terre blessés, ensanglantés.

En tentant d’échapper à la tuerie, une femme a sauté une barrière, elle s’est cramponnée à ma veste mais elle a été abattue par un ou plusieurs projectiles dans le dos. Impuissant, dans la fusillade, je pensais à ma mère et je priais Dieu.

Nous étions encerclés, cernés de toutes parts, les manifestants étaient canalisés vers le carrefour de l’Agha pour être embarqués dans des camions, surtout les jeunes gens.

J’ai eu la chance de pouvoir m’échapper de cet enfer, à 19 ans toujours en vie, mais pour combien de temps ! Vers 20 heures de retour au Champ de Manœuvre, j’étais seul sur la Place Général Sarrail. J’avais une plaie au menton  et je saignais

Pour la petite histoire, j’en rirais peut être encore, mais la peur d’affronter ma mère était très forte !

Une voisine qui me reconnaît en traversant la place s’écrie à l’adresse de ma mère : « Madame Navarro on a tué votre fils », Les gens devenaient fous ! Mon frère et mon beau frère, qui étaient partis à ma recherche (comme de nombreux  habitants du quartier), revenaient de la morgue vers 21 heures. Je ne vous explique pas la situation ! Non jamais je ne pourrais oublier la journée meurtrière du 26 Mars 1962 à Alger.

J’ai été photographié en première page et dans l’article 3 du n° 678 du 7 Avril 1962 de Paris Match.

 

Saint André de Cubzac le 25 Mai 2020

Gilbert NAVARRO

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